Demis Hassabis, génie de l’intelligence artificielle

Que l’on se rassure ! L’idée d’une machine consciente et parfaitement autonome semble encore une extravagance. Car l’intelligence artificielle (IA) manque toujours de ce que les spécialistes appellent le
« sens commun », la capacité à reproduire des tâches dans des domaines très variés et d’établir des liens entre ceux-ci. Les systèmes de reconnaissance d’images ou de compréhension du langage restent pour l’instant les technologies les plus représentatives de l’I.A. Mais serait-ce encore le cas dans une ou deux décennies ? Pour le neuroscientifique britannique Demis Hassabis, directeur général et fondateur de la société Deepmind, filiale de Google, l’Intelligence Artificielle Générale (IAG ou AGI en anglais) va bientôt rivaliser avec l’intelligence humaine et révolutionner notre monde. Est-ce une utopie (ou une dystopie) ? Faites-vous votre opinion, à la lumière du parcours d’un chercheur brillant et visionnaire : Demis Hassabis. 

Demis Hassabis, à la recherche de l’IAG

L’Intelligence Artificielle apparue dès la fin des années 1950, décompose tous les aspects de l’intelligence en élément suffisamment « binaire » pour être reproductible par un ordinateur. Au départ, elle repose essentiellement sur la déduction logique ; on essaie de construire des systèmes capables de raisonner et de manipuler des faits. Mais l’intelligence ne se résume pas à la pure logique algorithmique et ne définit que très partiellement l’humain et son environnement. 

“L’IA est une exploration sans fin, un voyage vers la compréhension de la nature même de l’intelligence. Tenter de distiller l’intelligence dans une construction algorithmique peut s’avérer être le meilleur chemin pour comprendre le fonctionnement de nos esprits.  » 

Et cela, Demis Hassabis l’a bien compris. Désormais, les chercheurs en IA tentent d’élaborer des machines capables d’apprendre par elles-mêmes de leurs erreurs, de manière autonome : c’est l’apprentissage automatique, l’essence même de l’Intelligence Générale Artificielle (IAG).  

Le cerveau est un ordinateur comme un autre et peut donc être recréé. Des caractéristiques autrefois considérées comme innées chez les humains – l’imagination, la créativité, et même la conscience – pourraient n’être que l’équivalent de logiciels”. Demis Hassabis

Contrairement aux modèles d’IA actuels (dit IA faible), limités à leur domaine spécifique, l’IAG, programme informatique hypothétique doté de capacités cognitives et de compréhension humaine, devrait permettre de réaliser des tâches dans des domaines très variés et établir des liens entre ceux-ci. Cette intelligence pourrait raisonner, acquérir des connaissances et prendre des décisions en toute autonomie, s’adapter de manière créative aux nouvelles situations et interagir avec les autres comme le ferait le cerveau d’un être humain. Les modèles de Deep Learning s’approchent de cette finalité grâce à la reproduction de l’architecture de nos réseaux neuronaux. Toutefois, il manque encore à l’IAG le caractère émotionnel et la perception sensorielle de l’environnement externe.

Un prodige des échecs, des neurosciences et de l’informatique

Né à Londres le 27 juillet 1976, Demis Hassabis, enfant prodige des échecs, est, à 13 ans, le plus jeune joueur à obtenir le titre de maître international d’échecs de Grande-Bretagne. Diplômé du baccalauréat à 16 ans, cinq fois champion du monde de Pentamind (discipline associant échecs, go, scrabble, poker et backgammon), deux fois champion du monde de Decamentathlon, Demis Hassabis entreprend des études d’informatique et de neurosciences dans la prestigieuse Université de Cambridge. En 1998, à seulement 22 ans, il cofonde le studio Elixir studio, développant des jeux vidéo innovants de stratégie en temps réel, comme Republic : The Revolution. Passionné par la manière dont le cerveau humain apprend et mémorise les informations, Demis Hassabis poursuit ses recherches à l’University College London, où il obtient un doctorat en neurosciences computationnelles.

Demis Hassabis, cofondateur de DeepMind, chercheur en Deep Learning

En 2010, avec deux célèbres chercheurs en IA, Shane Legg et Mustafa Suleyman, Demis Hassabis cofonde DeepMind Technologie. 

Le scientifique s’intéresse plus particulièrement au Deep Learning, algorithmes permettant aux ordinateurs d’apprendre par eux-mêmes.

En moins de quatre ans, DeepMind devient l’une des principales sociétés de recherche en IA au monde, et réalise des avancées spectaculaires. Pour permettre une accélération des progrès de la recherche scientifique dans ce domaine, ils diffusent même leurs algorithmes en open source

« Cela fait plus de vingt ans que je veux travailler dans l’intelligence artificielle. J’ai su que ce serait ma carrière lorsque j’avais quinze ou seize ans. Si cela a pris autant de temps, c’est parce que je voulais connaître les bonnes technologies, avoir les bonnes idées, rencontrer les bonnes personnes. Si l’on assemble tout ce que j’ai fait, les championnats d’échecs, l’informatique, l’écriture de jeux vidéo, les neurosciences, on peut voir cela comme un entraînement à ce que j’ai toujours voulu faire : diriger DeepMind. »

Discrète dans un premier temps, DeepMind ne tarde pas à attirer l’attention des géants de la Silicon Valley. 

Conscient de l’importance grandissante de l’IA, le géant Google, créé, dès 2011, la société Google Brain, entité qui a multiplié les projets de recherche (simulation de la communication humaine avec cryptage, la conduite d’automobile sans conducteur, la création d’art et de musique (projet Magenta) ou la traduction directe de textes (Google Translate).

Demis Hassabis, directeur général de Deepmind, filiale de Google

En 2014, Google acquiert DeepMind pour un montant estimé à plusieurs centaines de millions de dollars. 

« Nous aurions pu décider de lever de l’argent et de rester indépendants. Le choix de Google s’est fait parce qu’il y a une proximité entre les travaux de DeepMind et l’idée d’organiser l’information, qui est le principe d’un moteur de recherche. Nous pensions aussi que l’accès à leurs capacités de calcul et de traitement des données nous permettrait de travailler plus vite, et c’est exactement ce qui s’est passé. » Demis Hassabis

Les fondateurs de DeepMind contractualisent cet accord et obtiennent des garanties en termes d’éthique et d’indépendance ; en effet, Demis Hassabis, toujours directeur général de Deepmind, souhaite conserver une certaine autonomie au sein du groupe Google.

DeepMind a conçu deux programmes majeurs ayant permis de faire des progrès considérables en matière d’intelligence artificielle. 

  1. Le programme AlphaGo, ayant battu Lee Sedol, champion du monde de Go (jeu de stratégie chinois puis japonais) en 2016, démontrant la capacité des systèmes d’apprentissage automatique à maîtriser des jeux complexes nécessitant un raisonnement stratégique avancé
  2. Le programme AlphaFold, champion de biologie moléculaire, réalisant la prouesse de prédire la structure 3D des protéines. Ce projet a d’ailleurs conduit Demis Hassabis à fonder Isomorphic Labs en 2021, afin d’améliorer le processus de mise au point de nouveaux médicaments grâce à l’IA.
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Actuellement, DeepMind travaille sur une forme de calcul, la Machine de Turing neuronal, sur les raisonnements rationnel et prédictif, et les méthodes d’apprentissage de type deep learning et deep reinforcement learning.

Google Deepmind est désormais l’antenne phare de Google Research et de sa société mère Alphabet. Car jusqu’en 2023, les deux laboratoires DeepMind et Google Brain travaillaient en parallèle sans collaborer, comme deux rivaux au sein de Google. Pour Sundar Pichai, Directeur général de Google, “en combinant tous les talents au sein d’une seule équipe, soutenue par les ressources informatiques de Google, nous allons considérablement accélérer nos progrès dans l’intelligence artificielle”

La compétition est rude entre les grands rivaux de la Silicon Valley. Pour le moment, Microsoft, grâce à son investissement dans Open AI (créateur de ChatGPT) est le grand gagnant. Mais Meta et Google n’ont pas dit leur dernier mot, avec entre autres le développement de Gemini, un modèle multimodal polyvalent très puissant capable d’analyser des informations sous forme de textes, de sons, d’images et de vidéos. 

L’éthique et l’IAG, le prochain défi de Demis Hassabis

Déchiffrer le code de l’IAG semble encore un pari fou. Pourtant, pour Demis Hassabis, l’IAG est à présent à portée de main. Mais pour y parvenir, il va falloir développer davantage d’algorithmes sophistiqués et utiliser du matériel informatique de pointe capable d’analyser très rapidement les « milliards » de données nécessaires à la réalisation de tâches cognitives variées.

Demis Hassabis admet que « l’IA peut être un outil incroyable pour accélérer la recherche scientifique et constituer l’une des technologies les plus profitables de l’histoire de l’humanité. Mais, comme pour toute technologie, il y a des risques, cela dépendra de la façon dont nous, en tant que sociétés, décidons de l’utiliser. » Une progression éthique et responsable de l’IAG et la création d’une « autorité internationale » seront nécessaires pour garantir une utilisation responsable et minimiser les risques. 

« Je crois en l’ingéniosité humaine pour résoudre les problèmes techniques (…) Mais un défi plus important sera de résoudre les questions éthiques ». Demis Hassabis

En 2015, en Argentine, plusieurs centaines de chercheurs, dont Demis Hassabis, ont signé une lettre ouverte appelant à la mise en place de règles pour garantir que la recherche en intelligence artificielle serve le bien-être de l’humanité. Depuis 2018, l’Union européenne a par ailleurs établi le « droit à l’explication » dans le cadre du règlement général sur la protection des données (RGPD), permettant aux citoyens de demander des informations sur la logique sous-jacente des décisions automatisées prises par des algorithmes. 

Promu Commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique, Demis Hassabis, convaincu des possibilités futures immenses offertes par l’IAG, a reçu de nombreux prix et distinctions pour ses contributions à la science et à la technologie. Il semblerait que le brillant chercheur approuve le point de vue de l’auteur de sciences fiction Isaac Asimov : « Je n’ai jamais cru que si la connaissance présentait un danger, la solution était l’ignorance »… 

Violaine Berlinguet, pour FRW

Sources : 

LE POINT – n° 2667 septembre 2023 / mars 2024

Challenge n°817 – février 2024 

Le Figaro – Décembre 2018 / Novembre 2023 / décembre 2023 

L’express – Septembre 2023 

Sciences&Avenir N°899 – janvier 2022

lucie rondelet instagram

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