slow life et redaction web

Rédacteurs web : pensez-vous qu’adopter le slow living soit une bonne idée ?

Depuis deux ans, COVID-19 oblige, beaucoup d’entre nous ont été contraints de ralentir le rythme effréné de leur vie quotidienne. Cette réduction ou cet arrêt du travail vous a peut-être amené à interroger le sens de toute cette agitation perpétuelle. Lors de vos recherches, vous avez peut-être rencontré le concept de slow life, encore appelé slow living, vie douce ou mouvement doux. Sur le moment, vous avez peut-être pensé qu’il s’agissait d’un feu de paille de plus sur les réseaux sociaux. Mais est-ce si sûr ? Et plus précisément : slow life et rédaction web peuvent-ils former une combinaison gagnante ? Prenons le temps de découvrir ce mouvement, parcourons certains ouvrages de référence et voyons si nous trouvons quelques bonnes raisons de mettre en pratique le slow living dans l’existence du rédacteur web.

De la slow food au slow living

Le mouvement slow food

Les termes slow life et slow living ont été conçus par analogie avec le mouvement slow food, créé par Carlo Petrini dans les années 1980 en Italie. Avec quelques compagnons de route de l’Association libre des amis du Baroso, ce sociologue et critique gastronomique s’opposa à l’implantation d’un restaurant Mc Donald’s sur la Piazza d’Espagnia à Rome. Au pays de la diète méditerranéenne et du dolce farniente, la restauration rapide passait mal. Voici ce qu’il annonçait dans son Manifeste pour le goût et la biodiversité, paru pour la première fois en 1989  :

« Notre siècle, qui est né et a grandi sous le signe de la révolution industrielle, a d’abord inventé les machines, puis les a élevées au rang de modèle de vie. Nous sommes devenus esclaves de la vitesse et avons tous succombé au même virus : la fast life. Cette vie rapide qui bouleverse nos habitudes, nous poursuit jusque dans l’intimité de nos maisons et nous force à nous nourrir de fast-food. L’homo sapiens se doit, malgré tout, de recouvrer sa sagesse, de s’affranchir de cette vitesse s’il ne veut pas finir en espèce en voie d’extinction. Aussi, contre la folie universelle de la fast life, optons pour la défense d’un plaisir matériel tranquille. Face à ceux, et ils sont légion, qui confondent efficacité et frénésie, nous proposons la juste dose d’un vaccin permettant de garantir un plaisir des sens lent et durable. » (Petrini, 2006 [2001], p. 17)

Transformant l’indignation en création, Petrini et ses amis de la ville de Bra ont proposé au monde d’investir dans une alimentation durable, basée sur l’agriculture locale et l’éducation au goût. Le mouvement slow food était né.

Un « vaccin » lui-même contagieux : la lenteur

Dans son livre Éloge de la lenteur, paru en France en 2005, le journaliste et écrivain canadien Carl Honoré mène l’enquête, répertorie et discute une série de propositions ayant émergé de ce premier geste « lent ». Le succès de ce livre a permis de prendre conscience de l’étendue de l’intérêt pour la vie douce et c’est d’ailleurs à Honoré qu’on attribue, en général, la paternité du concept de slow life ou slow living. Voici quelques courants présentés ou discutés par l’auteur dans son ouvrage :

  • Le Sloth Club (Club de la paresse) au Japon ;
  • The Long Now (États-Unis) ;
  • La société européenne de décélération du temps (Autriche) ;
  • Citta Slow (les « villes lentes », un concept développé à Bra, en Italie) ;
  • Le « slow sex » (également développé à Bra, la ville de Petrini) ;
  • Le « slow Schooling » (dite « éducation progressive ») ;
  • La musique lente ou Tempo Giusto.

Prenant appui sur ces exemples, le journaliste prône un ralentissement du système actuel, qualifié de « turbo-capitalisme ». Selon lui, la vie douce n’implique pas une remise en cause radicale de nos modes d’existence, mais plutôt un processus d’aménagement (il emploie même l’expression de capitalisme « à visage humain »). Le paragraphe suivant, un peu long j’en conviens, résume bien sa pensée à cet égard :

« [C]e mouvement pour la lenteur ne milite pas pour agir à la vitesse de l’escargot. Il ne s’agit pas non plus d’une mouvance réactionnaire visant à faire régresser toute la planète vers on ne sait quelle utopie préindustrielle. Au contraire, ce mouvement est constitué de gens comme vous et moi, qui veulent vivre mieux dans ce monde rapide qu’est le monde moderne. C’est pourquoi cette philosophie peut être résumée en un seul mot : équilibre. Allez vite lorsqu’il est logique de le faire. Et allez lentement lorsque la lenteur s’impose. Cherchez à vivre à ce rythme que les musiciens appellent le tempo giusto — la “bonne cadence”. » (Honoré, 2005, p. 31)

Un ralentissement qui touche même les sciences

Pour ma part, je dois vous confesser que j’ai rencontré le mouvement slow par un autre biais : celui de mes lectures philosophiques et plus précisément de mes lectures en philosophie des sciences. Cela peut paraître étonnant, mais oui, le besoin de ralentir se fait aussi sentir chez les scientifiques et les universitaires, de façon plus générale.

C’est ce sur quoi travaille tout particulièrement la philosophe belge Isabelle Stengers dans son livre Une autre science est possible. Manifeste pour un ralentissement des sciences. Elle y constate d’abord que le monde académique est de plus en plus tenaillé par les exigences de rentabilité à court terme — ce qu’elle nomme « l’invention d’une science rapide ». Face à ce danger, elle propose de repenser ce que signifie être un scientifique ou un intellectuel.

Contrairement à Honoré, Stengers ne considère pas qu’il serait suffisant de ralentir le capitalisme : ce qu’elle vise, c’est plutôt l’invention de modes de vie capables de lui résister. Cet exemple me permet de faire surgir des différences au sein même de cette mouvance slow : y coexistent plusieurs tendances et niveaux d’analyse. Inutile, toutefois, d’insister ici trop longtemps sur ce point ; voyons plutôt ce que nous, rédacteurs web, pouvons faire de ce « vaccin » de la lenteur.

Slow life et rédaction web : une voie à explorer

Alors, que faire — oui, que fabriquer — avec le mouvement slow ? Donnerons-nous à ces initiatives et à ces réflexions le pouvoir de transformer la rédaction web ? Dans quelle mesure le rédacteur web peut-il entrer en « résonance » (Rosa, 2018) avec elles ?

???? Notons tout d’abord que la pollinisation du concept slow est déjà en cours dans le monde du Web : je vous invite pour cela à prendre connaissance du site internet du mouvement slow content et à lire l’article sur la sobriété éditoriale que j’avais rédigé il y a quelque temps sur ce blog.

Insistons ensuite sur le fait suivant : la rédaction web est bel et bien prise, elle aussi, dans des logiques « frénétiques » de productivité (pour reprendre l’expression de Petrini). Ce serait folie et naïveté de le nier. En d’autres termes, la rédaction web lente est à construire sur la base de l’existant, et cela, quel que soit le niveau de radicalité qu’on souhaite lui donner.

Puisqu’il faut bien commencer quelque part, énonçons maintenant quatre bonnes raisons — selon moi — de passer à l’action.

1. La bienveillance (et le plaisir)

Premier avantage : la bienveillance envers soi-même et le plaisir matériel simple retrouvé. Comme tout travailleur, le rédacteur web succombe souvent aux sirènes du « toujours plus, toujours plus vite ». Pourtant, le mouvement doux nous réapprend que « moins, c’est mieux ». Focaliser son attention et ses soins sur ce que l’on souhaite et ce qu’on aime vraiment faire, à savoir rédiger des textes percutants et intéressants. Retrouver le plaisir de l’écriture, de la lecture et de la recherche, voire des calculs SEO pour certains, voilà à quoi nous invite en premier lieu le mouvement slow.

???? Dans un petit livre bourré de références intéressantes, intitulé Choisir de ralentir, Nelly Pons nous conte son expérience : malgré une vie saine et des engagements sincères, elle s’efforçait sans cesse d’en faire plus. Résultat : le burnout.

2. L’engagement (et la responsabilité)

Deuxième bénéfice : l’engagement en faveur des valeurs qui vous animent. Si la vie lente signifie se concentrer sur les tâches qui font véritablement sens pour vous, alors cela implique aussi de se passer — au moins progressivement — des clients qui ne vous ressemblent pas. Vous vous souciez de la manière dont votre style de vie impacte l’environnement et la communauté mondiale ? Devenez responsable et cherchez, par votre plume, à soutenir les causes qui vous tiennent à cœur.

3. La confiance (et l’exigence)

Opter pour un mode de vie doux en rédaction web a un autre bon côté : vous pariez sur l’intelligence de vos lecteurs. Mieux, vous la recherchez lorsque vous écrivez. Proposer des articles longs et à forte valeur ajoutée permet en effet aux gens de s’impliquer émotionnellement et intellectuellement dans vos publications. En agissant de la sorte, vous réveillez leur envie de s’exprimer, vous renforcez le sentiment de collectivité autour de questions intéressantes et vous favorisez l’éclosion d’un débat exigeant et inclusif.

4. La résistance (et la créativité)

Dernier point qui attire mon attention : la résistance aux géants du Web et le tissage de nouveaux réseaux sur la Toile. « Un autre Internet est possible ! », pourrions-nous scander après les altermondialistes. Alors, certes, le rédacteur web n’est pas l’unique acteur (ni le plus important) de ce monde complexe. Néanmoins, je retiens cet enseignement de Lucie : nous pouvons faire notre travail sans devenir entièrement soumis à Google d’un côté, et aux logiciels du SEO de l’autre. Nous pouvons — et nous voulons — faire un travail de qualité ; non pas être les esclaves de machines productrices d’uniformité.

Rédacteurs et rédactrices web : que pensez-vous du mouvement pour la vie douce ?

L’avenir de la rédaction web n’est pas donné. Métier jeune, il oscille entre plusieurs voies. L’une d’entre elles pourrait bien être la rédaction lente.

???? Ce qui me semble en tout cas certain, c’est que nous devrons cultiver notre esprit critique et nos capacités créatives si nous entendons devenir une profession reconnue et indépendante. Bien sûr, des désaccords émergeront. Mais ne voyons pas les divergences comme un obstacle ; considérons-les plutôt comme l’occasion d’un passionnant débat.

Pour l’animer, voici d’ores et déjà quelques questions :

  • Pourquoi sommes-nous si pressés  ?
  • À quoi allons-nous occuper ce temps « gagné » ?
  • Sommes-nous en train de fuir quelque chose ?
  • Où nous mène cette rapidité ?
  • Que voulons-nous ?
  • De quoi sommes-nous capables ?

✒ Qu’en pensez-vous ? Que vous inspirent les interrogations qui précèdent ? Proposez vos réflexions dans les commentaires !

Et puis, si vous aspirez à devenir un rédacteur web « doux » ou une rédactrice web « slow », rendez-vous sur la page principale de Formation rédaction web.

À bientôt !

Nicolas Delforge, ancien élève Origami 5 et coach pour FRW.

Les ouvrages qui m’ont permis de construire cet article :

  • HONORE, Carl. Éloge de la lenteur. Vanves : Marabout, 2005 [2004], 537 p.
  • PETRINI, Carlo. Slow Food. Manifeste pour le goût et la biodiversité. Gap : Éditions Yves Michel, 2006 [2001], 203 p.
  • PONS, Nelly. Choisir de ralentir. Paris : Acte Sud, 2017, 61 p.
  • ROSA, Harmut. Résonance. Une sociologie de la relation au monde. Paris : La Découverte, 2018.
  • STENGERS, Isabelle. Une autre science est possible ! Manifeste pour une slow science. Paris : La Découverte, 2017 [2013], 211 p.
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2 réponses

  1. Bonjour,
    C’est tout à fait le genre d’articles qui réveille des interrogations profondes, et qui bouscule la matière grise. Cela soulève de vraies questions de philosophie de vie. Ce n’est pas vain de se demander après quoi nous courons chaque jour, et ce que nous espérons réellement pour demain. La fast life devient écrasante, et heureux sont ceux qui sauront apaiser leurs existences en y intégrant de la douceur de vivre. Être ancré dans le présent, apprécier ce que nous possédons déjà sans envisager constamment l’instant futur. À mon sens, le fait d’être si pressé n’est pas une décision consciente que l’on prend. Je pense qu’il s’agit d’un héritage émanant de la mise en concurrence des individus, et qui nous pousse à vouloir toujours plus et toujours mieux pour nous et notre famille. Comme si l’indice de réussite d’une vie était conditionné à nos multiples accomplissements et possessions matérielles. Le temps c’est de l’argent, alors à quoi bon en gaspiller ? Mais est-on véritablement perdant lorsqu’on effectue les choses en conscience ? Est-ce si important d’avoir des enfants hyper performants scolairement et qui réalise toutes les tâches demandées à toute vitesse ? C’est ce qu’on nous laisse à penser depuis que l’on foule les bancs de l’école.
    Un exemple criant et extrait de la vie courante, mais duquel nous aurions quelques enseignements à tirer. Le parent pressé le matin et qui répète inlassablement à ses enfants de se dépêcher : se hâter à s’habiller, se presser pour déjeuner, se précipiter à tout faire tout le temps ! En prenant du recul sur ces situations banales, la question du bien vivre se pose inéluctablement. Les bébés et les enfants l’ont bien compris eux : qu’il est bon de prendre son temps pour évoluer et découvrir le monde. Finalement, les adultes auraient fort à apprendre de leurs tout-petits.

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